L'abstraction gestuelle en all-over est de bout en bout une peinture typiquement américaine. Affirmer cela pourrait susciter un malaise, voire une alerte, dans la période actuelle, sans doute la plus chauvine de l'histoire de notre nation depuis de nombreuses décennies - s'il n'y avait pas le fait que l'artiste dont je vais parler est né à Ceylan et a grandi en Grande-Bretagne. Il est donc new-yorkais depuis 1972, ce qui fait de son histoire, celle de Julian Lethbridge, une histoire d'immigration typiquement américaine - ce qui signifie : réussie. En dehors de la population américaine indigène, "nous" sommes tous venus de quelque part, pour les raisons les plus diverses et aux époques les plus variées, en tissant, en variant et en structurant de manière marmoréenne la culture de ce pays de manière miraculeuse. En général, la rubrique "All-over-American-type-painting" englobe un large spectre de l'art après 1950 - il s'agit certainement d'un arc plus large que celui voulu par Clement Greenberg, le créateur du terme - qui va de Jackson Pollock, Philip Guston et Willem de Kooning à Jasper Johns et Cy Twombly. Le dénominateur commun se cache dans le principe de travail selon lequel l'amalgame de signes qui évoque une apparence plus ou moins figurative ou poétique - parfois, comme chez Johns, il en résulte une apparence tout à fait prosaïque - se suffit à lui-même en tant qu'image. (...)
La densité visuelle et tactile des plus grandes de ces images (récentes) ne ressemble en rien à ce que l'on a pu voir dans les travaux antérieurs de Lethbridge. Il est possible qu'elles marquent un tournant dans son œuvre, qui avait jusqu'à présent subi une transformation continue, étape par étape. Mais pour l'instant, je me contente de prendre les images actuelles de Lethbridge pour ce qu'elles sont, plutôt que de les interpréter comme des signes avant-coureurs de ce qui va suivre. Expression d'une sensibilité instinctivement réservée, aussi réfléchie que disciplinée, mais - de manière totalement non apologétique - hédoniste, ses toiles subjuguent et attirent par leur raffinement, à la fois fascinant et facile d'accès pour quiconque dispose de la combinaison requise de patience et de désir. Dans l'ensemble et sur le long terme, ces tableaux sont des machines en perpétuel mouvement, dont la dynamique tourbillonnante annonce que la peinture all-over-american-type est une parenthèse loin d'être close dans l'histoire de l'art moderne, c'est-à-dire un pensum qui attend d'être continuellement travaillé. (Extrait du texte de Robert Storr)