Trous de serrure mal fermés

L’univers de Werner Büttner est-il devenu plus drôle, plus coloré ou faut-il encore, suivant en cela les observations de Kristian Vistrup Madsen, le tenir pour toujours aussi sombre et oppressant ? C’est sans aucun doute le cas d’une œuvre comme « Frères (Caïn + Abel) » de 1983, mais pas exclusivement de celles créées plus récemment. Elles mêlents en effet une bonne dose de mélancolie ironique et de railleries caustiques au refrain amer No future des années 1980. La palette elle aussi a changé, la teinte terreuse cède devant une autre à nature de signal, sans pour autant renoncer à toute parenté avec les travaux plus anciens. Mais d’où vient cet adoucissement mélancolique de la vision du monde ? Est-il une conséquence normale de l’avancée en âge ? S’explique-t-il par la conscience plus spécifique d’être désormais trop vieux, même pour le refus de devenir comme les vieux de son temps (dans les années 1980) ? La raison en est-elle plutôt tout simplement la certitude que « l’alcool dissout tout ! », ainsi que le fait dire Rainald Goetz à son héros Raspe dans son roman « Chez les fous » de 1983 ? Ce dernier y ajoute par ailleurs la réflexion « Je ne veux pas devenir tel que je suis ! », condensé de la maxime de Nietzsche (« Deviens qui tu es ») et d’un slogan publicitaire de l’époque (« tu as le droit de rester tel que tu es ». Une lumière s’allume, que Kristian Vistrup Madsen lui aussi ne manque pas de voir briller : la connaissance de soi éclaire tout, mais ne peut guère empêcher la folie et la confusion de jouer leur petit jeu avec nous.

Exposition :
CFA Contemporary Fine Arts Berlin, 30/7 – 29/8/2020